En fait ce n'est pas vraiment un blog...

Le nous des amis

Le rosé ne fait pas pisser. Je le sais parce que je viens de m’envoyer 3L et que je n’ai pas versé une larme de pisse. Du coup je me sens en proie au sanglot long de la vinasse non assimilée, au doux revers d’un alcool bâtard qui se sent bien dans mes entrailles. Accouche ta bile, ou adoube-la, mais fais quelque chose espèce d’incapable (quand tu parles à ta vessie, parfois, et saoule d’amour), gentille. Saloperie d’apéritifs quand ils s’éternisent et te font perdre les broches de la sagesse, au parc d’un laissé-allé propre à ta semaine pourrie, les bijoux de famille et je ne parle pas de tes couilles.
Autrefois, Valérie (et je peux le jurer sur la Bible, la Torah, le Coran et n’importe qui) adorait enfiler les couettes dans leurs draps appropriés. Une passion. « J’adore ça, c’est con, mais j’adore ça. » Viens donc chez moi petite, je te rendrai heureuse à raison d’une fois toutes les trois semaines, de ce que disent les guides d’hygiène.
Je serais moi-même trop heureuse d’avoir une passion quelconque, ce qui n’est franchement pas le cas, et je me vois mal, de fait, assaillir les femmes d’intérieur, les femmes de rue qui sont des femmes d’intérieur, les femmes de zoo qui sont des femmes d’intérieur, les femmes d’intérieur qui aimeraient être dans la rue, mais à l’intérieur. Gynécée. Accouche on te dit, pour une histoire de draps.
Mais tout de même, elle adorait ça.
Et l’on se méfie pourtant des poètes que l’on ne connait pas encore quand on a déjà des amies.

Mardi quelque part en juillet je suis retournée chez moi, parlant verlan quand je rentre en banlieue, assez confiante pour pouvoir mettre des talons vernis rouges sans avoir l’air d’une pute qui vient pointer le week-end en famille. Tu m’touches j’te couche et les Reebok classiques ne m’ont jamais effrayées. RER A, pas besoin de valider son ticket.
Je suis arrivée chez Franklin et Bogora qui avaient sorti les saucisses et me suis mise en phase de tous pouvoir les assaisonner à coup de ok. Vocabulaire accrédité, reconnaissance de la pupille, accès autorisé. Entrez.
Valérie est arrivée. Avec son nouveau Jule : Marc de Venise (ça ne s’invente pas).
On connait tous Valérie depuis le CM1, et si l’on est sûr d’un truc la concernant, c’est qu’elle adore enfourner les couettes dans les draps qui leur sont appropriés. Mais voilà. Ce soir, elle nie.
On lui dit. Tu adores enfourner les couettes. Elle répond que non. On insiste. Elle nie toujours. Et de rajouter, qu’elle sait le faire, mais qu’elle n’aime pas ça. « On te parle pas de branlette ou de pipe, sale petite dévergondée, on est des cailleras, la métaphore on connait pas. »
Elle répond que non. Elle n’aime pas ça. On comprend pas. On insiste pas. On mange nos saucisses.
Le nous des amis se transforme alors en un truc moche qui n’a plus de passion. Comment se connaitre ? La soirée se passe. Je bois. Assez pour tâcher trois douzaines de couettes si j’arrive à vomir. On n’ose plus rien se dire, au cas où l’on parlerait de choses révolues. On aborde alors le futur. Le truc sans risque d’embarras d’amitié passée. Les projets qui n’appartiennent à personne, surtout pas à la nostalgie d’un temps où j’imitais la signature de leurs parents. On me dit : « tu pars en vacances ? » Et je ne peux pas m’empêcher de répondre : « Ouais, je vais à Venise, il parait que ça change. »

Par Adeline Grais-Cernea